dimanche 21 novembre 2021

Crises et développement en Haiti : Faire de l’agriculture un levier de stabilité et de souveraineté

Photos Eric A.


Notre agriculture est trop longtemps piégée. Cette affirmation est peut-être choquante. A bien des égards, un mécanisme robuste et huilé est en place afin garder « hors-jeu » un secteur économique vital pour un pays qui peine à se libérer du joug du sous-développement. Le secteur agricole haïtien, depuis des lustres, galère et continue de péricliter, car empêtré dans un système hermétique et opaque. Quelques [segments] plutôt « lucratifs » de certaines filières vitrines existent, mais opérés par des groupes oligopoles très restreints qui dictent les règles des marchés. En général, les 1,000,000 exploitants agricoles indéfinissables et inconnus opérant dans le secteur tentent de garder en vie ce qui reste de la production agricole nationale, le plus souvent à leurs dépens.

Tout semble contre l’agriculture et les agriculteurs haïtiens. Un discours démotivant ; l’agriculture est présentée comme un secteur à risque. Des politiques d’entraves et une gouvernance absente; les productions locales font face à une concurrence défavorable et déloyale sur leur propre marché « quasi-libre ». A noter que les aliments importés par Haïti se chiffrent à 800 millions $US environ par année, environ 21% des importations totales du pays. Pourtant, sans technologie appropriée, avec des moyens techniques et financiers rudimentaires, les productions agricoles locales assurent la satisfaction, entre 40 et 45 %, des besoins alimentaires des haïtiens. Le potentiel agricole haïtien est un acquis et un atout en attente d’exploitation, mais par celles et ceux qui peuvent le reconnaitre [voir l’article Pour un réveil agricole en Haiti en créole haïtien].

L’instabilité politique et les multiples crises internes, de 2020 à date, surtout avec le fameux « lòk », nouvelle stratégie de lutte politique, utilisée aussi lors des revendications sociales, l’épidémie du coronavirus (2020), le conflit russo-ukrainien (2022), etc. contribuent à révéler, même aux plus incrédules, la vraie place et le rôle de l’agriculture dans la stabilité sociale et la sécurité nationale. Cette situation vient renforcer ce que nous ne cesserons de crier haut et fort, et à qui veut l’entendre, à savoir : notre agriculture est un élément déterminant pour notre stabilité sociale et la souveraineté de notre pays. Remarquons que l’Ukraine bien qu’en étant en guerre conserve toute sa capacité à nourrir sa population alors qu’une bonne partie du monde en souffre. Autre malheureux constat, la dépendance alimentaire d’Haiti vis-à vis de la République Dominicaine crée un déséquilibre dans les tous les autres types de relation entre les deux pays.

Aujourd’hui, avec une évidence limpide, les enjeux alimentaires et nutritionnels, ceux de la paix et la stabilité, de l’environnement et plus généralement l’enjeux de l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD), dans l’espace et contexte haïtien, replacent également l’agriculture au nombre des issus incontournables menant au développement durable.

Aussi, tous les acteurs confondus, du paysan au grand et influent investisseur, les pouvoirs publics, doivent, enfin, prendre conscience de la nécessité d’une vision partagée d’un développement agricole endogène et miser sur une feuille de route agricole ambitieuse abordant les vrais défis : la sécurité, le marché, l’innovation, le financement et la préservation de l’environnement. Pour cela, il faut donc un plaidoyer catalyseur afin de mobiliser les décideurs et aussi tous les concernés ou intéressés (acteurs du changement) par le développement agricole. Il n’est pas sans importance de souligner, surtout dans le contexte d’Haiti, que les politiques de moyens (ressources) doivent céder la place à de véritables politiques sectorielle et sous-sectorielle centrées sur des résultats.

 

© Nolex FONTIL, Nov. 2021

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pensez à vous abonnez à mon blog et réagissez aux publications.