dimanche 30 octobre 2022

Sortir Haïti de ces crises : entre déchéance socio-économique et cynisme politique

INTRODUCTION

"Notre cœur saigne encore lorsque nous voyons se perpétuer dans notre pays ces situations d'insécurité, d'impunité, de corruption, d'exploitation à outrance pour l'argent et le pouvoir, et la mascarade de la justice", j'emprunte à Monseigneur Hubert Constant ce passage de son discours prononcé au mois de Novembre 2004, à l'assemblée générale de la Conférence des évêques de France. Il exprime le sentiment de bon nombre d'Haïtiens qui assistent impuissants à la descente aux enfers de la chère et belle Haïti, conquise, à un moment mythique à cheval entre deux siècles (fin 18è et début 19è siècles) au prix du sang abondant versé, sous le feux ardent des armes de la puissante armée française de l’époque ; la détermination des noirs assoiffés de liberté l’emporta.

Ce pays a déjà fait un parcours assez long, de plus de 216 ans, à rechercher la consolidation de son indépendance, la cohésion sociale, la paix et la stabilité, le développement économique et social. Sa course n'est toujours pas terminée, étant encore très loin de ces aspirations d’un peuple combatif. L'objectif de ce texte est de présenter quelques réflexions sur cette quête du rêve haïtien, tout en effleurant les responsabilités face au constat du chaos caractérisant l’état global d’Haïti, ainsi que la déchéance de tout un système de gouvernance, les conséquences économiques et sociales, à travers la thématique ainsi formulée "Sortir Haïti de ces crises : entre déchéance socio-économique et cynisme politique" traitée en trois points :
(1) les impacts des politiques publiques ;
(2) Les retombées socio-économiques en considérant les trois (3) dernières décennies (1990-2020) ;
(3) Et, des pistes de solutions pour des perspectives positives et inspirantes pour tous.

1. QUELLES RETOMBEES DES POLITIQUES PUBLIQUES ?

Depuis la fin 15ème siècle, ex-colonie espagnole et française (1492-1804), Haïti fut toujours le théâtre des systèmes d'exploitation, de domination des grandes puissances et également un champ fertile pour les agences internationales. 216 ans (1804-2020) de parcours de résistances, de tentatives et aussi de luttes en vue de l'émancipation sociale et économique qui demeure une aspiration légitime de la nation haïtienne. Mais tiraillée pendant longtemps pour s'être engagée et de fait avoir arracher son indépendance du système barbare de l'esclavage et s'être imposée comme le deuxième pays libre du continent américain et la réputation de 1ère République noire indépendante du monde.

Occupée pendant dix-neuf (19) ans par les Etats Unis d'Amérique, du 28 Juillet 1915 au 01 Août 1934. Une présence physique quasi permanente des Nations Unies pendant près de trois (3) décennies de 1993 à 2020, à travers différentes missions dont MINUHA, MANUH, MIPONUH, MINUSTAH, MINUJUSTH, … Sous perfusion quasi constante maintenue par les principales institutions internationales telles FMI, BM, BID, … et des Agences de coopération bilatérale.

Pour quelle paix ? Quelle stabilité ? Quel progrès ? Enfin, quel niveau de développement ?

Deux siècles accomplis et deux décennies d'indépendance (1804-2020) pour un pays toujours dépendant de l'extérieur. Le séisme du 12 Janvier 2010 a dévoilé toutes les faiblesses d'un pays agonisant et l'inefficacité des institutions et de l'Etat. L'instabilité politique chronique, les crises sociales, les luttes intestines constituent la toile de fond de la société haïtienne. L'assassinat du père fondateur de la Patrie, Jean Jacques Dessalines qui fut le symbole de l'unité et le forgeur de la nation haïtienne ouvrit la voie aux luttes de classes et à toutes les formes de divisions à l'origine des asymétries sociale, économique, politique, … dans le pays jusqu'à date.

L'Etat perd de son essence, mélange sa fonction de régulation, de contrôle, d’incitation via des politiques publiques efficacement conçues… à d'autres fonctions et des questions subsidiaires qui seraient mieux traitées par la société civile et le secteur privé. Dans cet amalgame de rôles et actions publics, se forme le cercle des vices, des fraudes, de la corruption et de toutes les formes d'insécurité pour le citoyen et d'entraves pour le fonctionnement et le développement des institutions publiques et le progrès économique du pays. Toutes les structures étatiques passent à côté de leur mission de service public. Elles sont en déphasage avec le contexte de développement économique régional et mondial lequel est centré sur la compétitivité, la recherche de l'avantage comparatif, l'économie de marché, l'engagement du secteur privé, la vitesse et l'efficacité de la technologique, codifié et limité par des normes et des règles. Les politiques économiques, du moins des cinquante dernières années, privilégient nettement l'importation à la production nationale, L'Etat lui-même achète, produit et distribue au profit de la légendaire attache populiste des Gouvernants voulant une accalmie sociale pour tenter de rester au pouvoir. Et, à la place de discours cohérent, rassurant et adapté aux conjonctures, c'est courant que ces derniers fassent usage du baragouinage comme communication politique ; les derniers baragouins livrés : "naje pou sòti", "lè-w prezidan wa konprann","nou pa egare", Est-ce que ça dérange ? Suivez mon regard ! …

Le pays est en train de perdre son capital humain reproductible, des Haïtiens/nes authentiques pouvant reconstituer la classe dirigeante crédible, fiable et compétente ô combien indispensable à son décollage. Point besoin de rappeler qu'à la place des hommes/femmes d'Etat se retrouvent en majorité des hommes/femmes de services ou pions des forces obscures économiques et politiques dans toutes les sphères.

De manière spécifique, la question fondamentale et basique de la sécurité alimentaire et nutritionnelle à court terme constitue un énorme défi. La famine chronique demeure une menace constante et les problèmes nutritionnels tuent silencieusement dans les cités et les quartiers populeux, dans l'ombre des instabilités politiques, le mépris des Dirigeants et la complicité rentable de certaines parties des élites. D'ailleurs, pour le sociologue et écrivain Jean Price Mars (1919), "La classe dirigeante se désintéresse du sort des masses, celles-ci ignorant même l’existence de la première parce qu’elle n’a avec elles que des rapports purement économiques." A cela, il ne faut sous aucun prétexte soustraire les responsabilités, à cause de leur complaisance, de certains dirigeants des puissances étrangères et de Responsables des Organisations et Missions étrangères.

En 2018, dans son Rapport sur le développement humain 2019, L'ONU a classé Haïti 169ème sur 189 pays et territoires considérés ; son IDH de valeur 0.503 est la plus faible de toute l'Amérique et les Caraïbes. La pauvreté et le sous-développement d'Haïti, somme toutes les considérations précédentes, donneraient le reflet d'un projet dans l'essence est dans son histoire, ses croyances et sa culture.

2. CONSIDERATIONS SUR LES TROIS (3) DERNIERES DECENNIES (1990 - 2020)

En seulement 30 ans, la population haïtienne a augmenté de 66%, en passant de 6.6 millions en 1987 à 10.9 millions de personnes en 2017 ; le taux de croissance démographique 14.7 pour mille pour la période 2015-2020, selon l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI). Haïti est ainsi, le deuxième pays le plus peuplé de la Caraïbe, après Cuba et est suivie par la République Dominicaine. La figure 1, ci-dessous, montre que pendant les trente (30) dernières années, soit jusqu’en 2017, Haïti a affiché des taux de croissance démographique légèrement plus élevés que la République Dominicaine et largement supérieures que Cuba.

Parallèlement, la population s’est de plus en plus confinée dans les espaces urbains. En 1987, environ 75% des haïtiens vivaient en milieu rural ; aujourd’hui, seulement 45% de la population habite dans le milieu rural. Selon les statistiques démographiques de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), en 2015, la population haïtienne est estimée à 10.9 millions de personnes avec une concentration de plus de 50% dans les milieux urbains ; 36% de la population est concentrée dans le département de l’Ouest, 15.4 dans l’Artibonite et 9% dans le Nord. Il importe également de signaler que 26% environ de la population habite l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, un état de fait déterminant les conditions sécuritaires, la paix et la stabilité sociale dans la Capitale haïtienne et ses zones environnantes.

Figure 1 : Évolution comparée des populations de Cuba, de République Dominicaine et d’Haïti de 1985 à 2017 


Considérant cette dynamique démographique, nourrir la population en d’autres termes la « garantir la sécurité alimentaire », est un enjeu d’une importance capitale pour Haïti. Sur le plan social, face à des inquiétudes soulevées par le besoin de manger et se nourrir, les exemples de crises et d’intenses tensions populaires sont légion. A titre de d’exemple, l’on peut signaler les émeutes de la faim, en avril 2008, avec comme leitmotiv « nou grangou », suite à la hausse générale des prix des denrées alimentaires au niveau qui a également provoqué des manifestations de masse dans d’autres pays. La problématique de l’insécurité alimentaire est fortement présente dans les revendications populaires et dans les débats politiques. Elle n’a pas cessé de s’amplifier et est devenue un mal chronique vu le niveau de pauvreté dans le lequel Haïti s’est enlisée depuis si longtemps. Le DSNCRP (MPCE, 2007), fait état qu’en 2001, 56% de la population haïtienne, soit 4,4 millions de personnes vivait en dessous de la ligne de pauvreté́ extrême de 1$ US PPA par personne et par jour. Douze (12) ans après, l’extrême pauvreté a reculé mais demeure à un niveau estimé élevé ; en 2012, elle est estimée à 24%, selon la Banque Mondiale (2014) qui notait parallèlement que 60% de la population sont considérés comme étant multidimensionnellement pauvres, ayant accès à moins de trois (3) des sept (7) services de base (éducation, santé, assainissement amélioré, eau potable, énergie, logement non-précaire, sécurité alimentaire).

Alors que la tendance de croissance démographique annuelle se situe autour de 1.47%, l’économie du pays affiche des taux de croissance atypique d’une situation chaotique qui oscille entre croissance et décroissance et dont le taux moyen de croissance demeure inférieur à celui suivant lequel la population augmente.

Figure 2 : Croissance démographique comparée à l'évolution du PIB 


Du point de vue économique, rien de comparable avec ses voisins de la caraïbe (Figure 3), Haïti se rapproche plutôt de certains pays minés par les conflits (Figure 4). En réalité, n'elle-t-elle pas en réalité un pays en conflit, vu ces crises politiques répétitives, la multiplication du nombre des gangs armés et des zones de non droits, les sempiternelles revendications d'un mieux-être des masses populaires, la banalisation des symboles de la nation ayant marqué les trente (30) dernières années.

Figure 3 : PIB/ha comparé de Haïti et d’autres pays du bassin de la Caraïbe 
Source : données de base de la Banque Mondiale

Figure 4 : PIB/ha comparé de Haïti et de certains pays en conflit 
Source : données de base de la Banque Mondiale

3. POUR SORTIR HAITI DE SA DECHEANCE

Le développement d'Haïti viendra de l'extérieur, C'est faux ! La Première République noire, doit se réveiller pour se réinventer en misant sur ses ressources propres, tout le reste si on veut mais sans aide empoisonnée.

C'est vraiment fort d'affirmer qu'Haïti est un "pays à réinventer" et autant pénible de l'expliquer cela dépend des groupes ou des intérêts qui sont en face ou qui seront touchés. Certains, les forts et puissants économiquement, n'ont aucun souci face au système tel qu'il est ; d'ailleurs ils le contrôlent, en tirent grand profit et auraient en leur pouvoir le levier de la misère populaire.

Quant à la majorité de la population, il paraît qu'elle ait finalement aversion des beaux discours, qu'elle doute de toute bonne foi. … et soit tétanisée au point de plonger nettement dans l'indifférence pour la chose publique et le collectif. L'individualisme et l'intérêt personnel s'installent dans toutes les couches.

Les modèles pour les enfants et les jeunes sont rares. D'ailleurs, le rempart que représentait la cellule familiale aujourd'hui disloquée sous le tonnage de la misère ne sert plus la communauté. Les mœurs, influencés par la dynamique socio-politique et les pratiques de survie imposées par la dure réalité quotidienne, ont beaucoup évolué. A part le militantisme, au sens d'activisme politique et réactionnaire, le plus souvent à la solde des politiques tordus et corrompus, le principal issu offert à la Jeunesse est l'émigration. Les tendances "rabòday", "madan papa", "ti-sourit", "car-wash", etc. deviennent les principales distractions ou lieux de défoulement et d'évasion aux dépens d'une société sereine, équilibrée et émancipée.

La relève qualitative tant espérée n'est pas pour demain à moins d'un sursaut collectif et de l'émergence d'un leadership haïtien pour les Haïtiens d'abord pouvant remettre en priorité l'intérêt national et collectif et qui fait du développement durable de la société haïtienne le but et le principal point de ralliement des haïtiens/nes toutes classes confondues.

Bien évidemment, il n'est pas sensé d'envisager un développement en vase clos ; le scenario viable doit comprendre l’importance du partenariat respectueux international et d’une collaboration saine et sincère entre états ; à l’instar de la coopération internationale prônée par la jeune nation haïtienne, au lendemain de son indépendance, notamment avec les états de l’Amérique latine et les Etats Unis en particulier. Le format de diktat a démontré sa dangerosité et a contribué énormément à la descente aux enfers des Haïtiens/nes. Il faut un nouveau paradigme fondé sur "Ayiti dabò", "Ayiti an premye", avec les Haïtiens et les Haïtiennes.

La sortie de cette spirale dangereuse impose un réveil collectif national. En d'autres termes, la population devra massivement exprimer son ras-le-bol de ses conditions existentielles actuelles et exiger manifestement une révolution large et totale ; en particulier, la redéfinition des fondamentaux de la nation dont le rêve haïtien, le système de valeurs sociétales, le consensus sur les droits, les obligations et les privilèges. La nouvelle société haïtienne doit être centrée sur l'équilibre relatif, c'est à dire de limitation des écarts sur les plans social, politique et économique avec des considérations spécifiques pour la jeunesse, la femme et de l'accessibilité pour toutes et tous. Evidemment, tout le monde ne sera pas d'avis que les conditions changent. Le changement des conditions de vie de la masse, si cette dernière souhaite s'y engager, a inévitablement un coût, même plus important que le coût consenti pour édifier le chaos actuel. Si nous souhaitons des résultats différents, nous devons changer d’approches, de pratiques, pourquoi pas de visions. Le monde a beaucoup changé depuis et ici, il est d'arrêter de reculer ; on doit désormais avancer.


4. BIBLIOGRAPHIE

Banque Mondiale. Les données ouvertes de la Banque mondiale, dans [https://donnees.banquemondiale.org].

Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique, 2015. Population totale, de 18 ans et plus, ménages et densités estimés en 2015, Port-au-Prince.

Mars, J. P., 1919. La vocation de l'élite. Disponible dans [http://classiques.uqac.ca/classiques/price_mars_jean/vocation_de_elite/vocation_de_elite.html], consulté le 15 novembre 2019.

Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2007. Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté́ (2008-2010), Imprimeries Deschamps, Port-au-Prince.

Programme des Nations Unies pour le Développement, 2019. Rapport sur le développement humain 2019 - Au-delà des revenus, des moyennes et du temps présent : les inégalités de développement humain au XXIe siècle.

dimanche 2 janvier 2022

Haïti démographie : Entrer en 2022, en faisant de l’humain l’artisan du développement durable

Comparé aux quatre (4) pays sur le plan démographique, Haïti est le pays :

  • le plus peuplé avec 11.5 millions de personnes ;
  • où les femmes sont les plus fertiles (2.8%) et la population croit plus rapidement (1.3% an) ;
  • où la population est plus jeune, 94.7% des hommes et des femmes ont moins que 65 ans.

En dépit de tout, c’est le pays le plus pauvre et où l’espérance de vie est de 62 ans pour les hommes et de 67 ans pour les femmes.


Au sein de la population haïtienne :

  • les femmes (50.4%), comme c’est le cas pour les autres états de l’archipel des grandes Antilles, sont plus nombreuses que le les hommes (49.6%) ;
  • La population rurale (43.6%) légèrement inférieure à celle urbaine (56.4%). Par rapport à sa valeur en 2015, le taux de la population rural a perdu 4.4 en 2021.


Dans une perspective de développement durable d’Haïti, la situation démographique peut constituer un atout déterminant moyennant une capacitation adéquate lui permettant de créer/exploiter les opportunités et participer à la création de la richesse, la croissance économique et promouvoir le bien-être collectif.

Aussi, faut-il bien que toutes initiatives à considérer dans ce sens, qu’elles soient d’ordre politique, économique, social ou culturel, doivent être inclusives, intégrées et durables et considèrent les besoins fondamentaux de l’humain le plus pauvre. C’est l’homme qui donne le sens au développement. L’humain doit être au cœur de son propre développement durable, sinon c’est un concept vide et dont la valeur réelle ne résidera que dans la rhétorique et en tant qu’œuvre d’art à déposer dans un musée.

© Nolex Fontil, Janvier 2022